L’avortement est un sujet profondément sensible. En Islam, il touche non seulement à la vie biologique, mais aussi à la valeur sacrée de la création d’Allāh. La question n’est donc pas purement médicale ou sociale : elle est d’abord spirituelle et morale.
Comprendre la position de l’islam sur l’avortement suppose de revenir au Coran, à la Sunna du Prophète ﷺ, et aux avis des savants issus des quatre grandes écoles juridiques.
La vie : un don sacré d’Allāh
Allāh ﷻ rappelle à plusieurs reprises dans le Coran que la vie humaine est un dépôt sacré.
« Et ne tuez pas vos enfants par crainte de pauvreté. C’est Nous qui attribuons la subsistance, à eux comme à vous. »
(Sourate al-Isrâ’, 17:31)
« Et ne tuez pas la vie qu’Allāh a rendue sacrée, sauf en toute justice. »
(Sourate al-An‘âm, 6:151)
Ces versets montrent que la vie, dès ses premiers instants, appartient à Allāh seul. L’homme n’a pas le droit d’y mettre fin sans raison légitime reconnue par la Loi islamique (Sharī‘a).
Les savants expliquent que la sacralité de la vie commence dès la conception, même si le degré d’interdiction varie selon le développement de l’embryon. C’est cette distinction qui a conduit les juristes musulmans à débattre des différentes phases de la grossesse.
Quand l’âme est-elle insufflée : un point central du débat
Le Prophète ﷺ a décrit dans un hadith célèbre les étapes de la création du fœtus :
« Chacun de vous est formé dans le ventre de sa mère pendant quarante jours sous forme de sperme, puis devient une adhérence semblable pendant une période équivalente, puis un morceau de chair pour une période équivalente. Ensuite, l’ange est envoyé et insuffle l’âme (rūḥ) en lui… »
(Rapporté par al-Bukhārī et Muslim)
Ce hadith indique que l’âme est insufflée après 120 jours (soit environ quatre mois).
Avant cette étape, le fœtus est en développement biologique ; après, il devient un être vivant doté d’une âme.
C’est ce moment qui détermine la gravité juridique de l’avortement.
La position du Coran et de la Sunna sur l’avortement
Le Coran ne mentionne pas directement le terme « avortement », mais condamne fermement le meurtre des enfants par crainte de pauvreté — une pratique courante avant l’islam.
La Sunna ne rapporte aucun hadith authentique autorisant explicitement l’interruption volontaire de grossesse. Cependant, les savants ont déduit des principes généraux du droit islamique (maqāṣid al-sharī‘a) les cas où l’avortement peut être toléré.
Ces principes visent à préserver la vie, la descendance, et la dignité humaine. C’est à partir d’eux que les quatre écoles juridiques ont formulé leurs avis détaillés.
													L’avis de l’école hanafite : une tolérance avant 120 jours sous conditions
Les juristes hanafites considèrent que l’avortement avant l’insufflation de l’âme (avant 120 jours) est makrûh (déconseillé), mais non strictement interdit, tant qu’il y a une raison valable.
Cette raison peut être la santé de la mère, une grossesse non viable, ou un danger médical sérieux.
Après 120 jours, l’avortement devient harām (illicite), sauf si la vie de la mère est en jeu.
Cette position est rapportée par les savants comme al-Kāsānī dans Badā’i‘ al-Ṣanā’i‘ et Ibn ‘Ābidīn dans Radd al-Muḥtār.
L’avis de l’école malikite : une interdiction quasi totale
L’école malikite adopte la position la plus stricte : l’avortement est interdit dès la conception, même avant l’insufflation de l’âme.
Les savants malikites, tels qu’Ibn al-Jazzār et al-Qarāfī, estiment que la vie commence dès la fécondation, et que toute atteinte à l’embryon est une forme d’agression contre une création d’Allāh.
Seule exception : si la vie de la mère est en danger certain, alors il devient permis d’interrompre la grossesse, car préserver la vie déjà existante prime sur la vie potentielle.
L’avis de l’école shaféite : une opinion nuancée avant 120 jours
Les savants shaféites, tels qu’al-Nawawī et al-Ramlī, considèrent que l’avortement avant 120 jours est permis uniquement pour une cause sérieuse, et interdit après.
Ils se basent sur le même hadith de la formation du fœtus, estimant que l’âme marque le début de la véritable vie humaine.
Sans motif médical, ou en dehors de nécessité, l’avortement reste harām, car il constitue un mépris pour le don d’Allāh.
L’avis de l’école hanbalite : permis avant 40 jours selon certains, interdit ensuite
Les juristes hanbalites ont deux opinions.
La plus connue, rapportée par Ibn Qudāma dans al-Mughnī, autorise l’avortement avant 40 jours si la grossesse représente une détresse extrême ou un danger.
Au-delà de cette période, la majorité des hanbalites rejoignent les autres écoles : l’avortement devient interdit, sauf nécessité médicale vitale pour la mère.
Cette approche met l’accent sur la préservation de la vie comme finalité supérieure de la Sharī‘a.
Les cas exceptionnels reconnus par les savants contemporains
Les conseils de fiqh modernes, tels que le Conseil des savants de l’Académie islamique de Fiqh (Organisation de la Coopération Islamique, 1983), ont tranché sur plusieurs cas.
Ils affirment que l’avortement avant 120 jours peut être autorisé si un comité médical fiable confirme que le fœtus est gravement malformé et que sa survie est impossible, ou si la vie de la mère est menacée.
Au-delà de 120 jours, aucune justification n’est acceptée, sauf danger certain pour la mère.
Cette position fait aujourd’hui autorité dans la jurisprudence contemporaine.
La miséricorde d’Allāh pour les femmes ayant connu un avortement
Il est essentiel de rappeler que l’islam n’est pas une religion de condamnation, mais de miséricorde et de retour vers Allāh.
Une femme qui a subi un avortement, volontairement ou non, doit avant tout se tourner vers le repentir (tawba), la demande de pardon, et la reconstruction spirituelle.
Allāh ﷻ dit :
« Dis : “Ô Mes serviteurs qui avez commis des excès à votre propre détriment, ne désespérez pas de la miséricorde d’Allāh. Certes Allāh pardonne tous les péchés.” »
(Sourate az-Zumar, 39:53)
La miséricorde divine englobe toute erreur sincèrement regrettée, et chaque retour vers Allāh est honoré.
													L’avortement en cas de viol : entre miséricorde et cadre juridique
La question de l’avortement après un viol est l’une des plus délicates du droit islamique contemporain. Elle met en tension deux principes majeurs de la Sharī‘a : la préservation de la vie et la préservation de la dignité et de l’honneur de la femme.
Dans les textes anciens, le viol n’était pas un cas fréquemment abordé sous l’angle de l’avortement. Mais à notre époque, les savants ont été amenés à statuer à la suite de guerres ou de violences collectives (comme en Bosnie, en Irak ou dans certains pays africains).
Avant 120 jours : une autorisation admise par plusieurs conseils de savants
Le Conseil islamique de Fiqh de l’Organisation de la Coopération Islamique (OIC), dans sa résolution de 1989 à La Mecque, a autorisé l’avortement avant 120 jours dans le cas d’un viol, si la femme le souhaite et qu’elle souffre d’un traumatisme grave.
Cette décision repose sur deux arguments :
L’âme n’a pas encore été insufflée avant 120 jours (selon le hadith rapporté par al-Bukhārī et Muslim).
Le viol ne résulte pas d’un acte volontaire : la femme n’est pas fautive et ne doit pas porter la conséquence d’un crime subi.
Des savants réputés comme Cheikh Yûsuf al-Qaradâwî, Cheikh Ibn Bāz, et Cheikh al-‘Uthaymīn ont également autorisé l’avortement avant 120 jours en cas de viol, notamment lorsque la grossesse cause un préjudice psychologique ou social grave à la victime.
Après 120 jours : un consensus sur l’interdiction, sauf danger vital
Après l’insufflation de l’âme, la majorité des savants (toutes écoles confondues) interdisent l’avortement, même en cas de viol, sauf si la vie de la mère est clairement menacée.
En effet, après 120 jours, le fœtus est considéré comme une vie complète dont la suppression équivaut à un homicide.
Mais les savants insistent sur le fait qu’en cas de viol, la femme ne porte aucun péché si elle choisit de garder l’enfant, et que la communauté doit l’entourer de protection, d’aide et de bienveillance.
Le viol n’efface pas la dignité ni l’honneur de la femme
L’islam ne condamne pas la victime, mais le criminel. Le Prophète ﷺ a dit :
« Allāh a pardonné à ma communauté ce qu’ils font sous contrainte. »
(Rapporté par Ibn Mājah)
Cela signifie que le viol n’entraîne aucun péché pour la femme, et que son honneur reste intact aux yeux d’Allāh.
Les savants rappellent que le fœtus issu d’un viol n’est pas fautif non plus, et qu’il a les mêmes droits que tout enfant, si la mère choisit de le garder.
Entre souffrance et choix : le rôle du tawakkul et du soutien communautaire
Dans une telle épreuve, aucune décision n’est simple. Certaines femmes choisissent d’interrompre la grossesse avant 120 jours pour se reconstruire psychologiquement, d’autres décident de garder l’enfant et d’y voir un signe d’épreuve et de patience.
Les deux démarches peuvent être honorables, selon l’intention (niyya) et le contexte médical et spirituel.
Les savants insistent sur l’importance d’un accompagnement spirituel, psychologique et familial, pour que la femme ne se sente ni coupable ni abandonnée.
Allāh ﷻ dit :
« Allāh n’impose à aucune âme une charge supérieure à sa capacité. »
(Sourate al-Baqara, 2:286)
				
								
								
													








